Éditorial
Des enjeux nationaux du baccalauréat

Le 20 novembre dernier, en même temps que ses partenaires littéraires, notre association a été reçue par Pierre Mathiot, ancien directeur de l'IEP de Lille et chargé par Jean-Michel Blanquer d'une mission sur l'avenir du baccalauréat. On savait les deux principes prélablement posés, et confirmés par le rapport paru depuis : d'une part, l'examen ne comporterait que quatre épreuves terminales, le reste relevant du contrôle continu (choix dont on voit mal quelles autres explications que budgétaires il pourrait bien avoir) ; d'autre part, le candidat jouirait de plus de liberté dans la composition, tant pour l'examen final que pour le contrôle continu, de son diplôme. Notre association avait cependant essayé, et essaiera encore, de faire entendre sa voix.

Elle a évidemment rappelé son hostilité au contrôle continu, parce que l'examen terminal et national représente un étalon qui empêche que le niveau de l'enseignement dispensé dans tel établissement ne diffère trop de celui dispensé dans tel autre. Elle a aussi mis en garde son interlocuteur contre une propension à laisser le candidat choisir ses enseignements et ses épreuves, propension dont le moins qu'on puisse dire est qu'elle a, depuis 1995, dégradé le niveau du baccalauréat : à l'horaire et à l'exigence de la terminale et du bac C en mathématiques et en physique a succédé aujourd'hui un bac S platement généraliste ; l'ancien bac A1 (lettres-mathématiques), dont la formule était équilibrée et les lauréats appréciés, n'a pas survécu à l'optionnalisation des mathématiques : cette « spécialité », d'abord proposée partout, a rapidement disparu et la série L, réduite finalement à ce qu'était la filière A2 (lettres-langues), s'est dévalorisée et dépeuplée, l'enseignement renforcé ou multiplié des langues étrangères ne suffisant pas à compenser le déficit qui le distingue des autres séries quant au nombre de disciplines étudiées. Assurément, moins l'Institution est prescriptrice, plus faible est le niveau des élèves dont elle a la charge – ce qui ne saurait étonner, d'abord parce que c'est l'enseignant, non l'enseigné, qui seul peut décider ce qu'il faut savoir, ensuite parce que le libre choix du candidat est nécessairement consumériste et le guide vers ce qui est censé lui rapporter le plus de points au bac, conduisant à l'affaiblissement ou à la disparition des enseignements qui dépendent de son choix.

Si le principe d'un bouquet d'épreuves est donc en soi vicié, sa mise en œuvre peut par-dessus le marché en aggraver le vice. Ainsi de l'idée de partager les quatre épreuves entre deux dites « de spécialité » et deux autres « universelles », lesquelles seraient l'épreuve de philosophie et un « grand oral » où un jury apprécierait l'éloquence du candidat. Le ministre, dans l'entretien qu'il a accordé à L'Express du 13 septembre dernier, affirme que « l'apprentissage de la grammaire de phrase est essentiel » et que « la façon dont on aborde aujourd'hui notre patrimoine littéraire au collège, par grandes idées un peu conceptuelles et non plus par courants et époques spécifiques, doit être repensée ». Ces principes, qui sont ceux de l'APLettres, ne valent-ils plus pour le lycée ? Car, si une culture littéraire consistante et structurée et la maîtrise, non seulement de la langue, mais du discours sont en effet essentielles, comment justifier qu'elles soient appréciées, non plus au travers d'exercices académiques et rigoureux, mais dans un cadre vague qui les instrumentalise et les soumet qui plus est à l'appréciation tout sauf scientifique d'un représentant du « monde de l'entreprise » ? Au reste, et de la même manière, comment justifier que la connaissance de l'histoire et de la géographie, essentielle tant pour la cohésion nationale que pour l'exercice de la citoyenneté, ne relève pas d'une épreuve universelle ?

En vérité, avant de et pour envisager l'organisation de l'examen, il eût fallu décider ce qu'il doit apprécier, autrement dit quel enseignement on attend du lycée général ; cette question recoupe bien sûr celle de la spécialisation, de son degré et de sa nature. La réduction du nombre d'épreuves terminales ne se comprendrait en effet que si ces épreuves portaient justement et notamment sur les disciplines universelles et universellement enseignées au même niveau d'exigence (ce qui ne peut être le cas des mathématiques) : le français, l'histoire-géographie, la philosophie.

Loin d'être anachronique, cette prééminence des humanités est au contraire une nécessité pour le monde à venir où les technologies prendront encore plus de place, accompliront encore plus de tâches, où ce qui ne saurait relever d'elles et qui permettra seule de les dominer sera une très solide et très riche formation intellectuelle et cuturelle ; et la formation scientifique délivrée au lycée devrait d'ailleurs elle-même être fondamentale, c'est-à-dire être mathématique avant d'être technologique.

On le voit : la question du baccalauréat général contient l'avenir intellectuel de la nation. Comme lorsqu'il s'en remet à l'autonomie des établissements, le ministre semble malheureusement avoir choisi de ne pas décider.

Romain Vignest

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